C’est à Christian de Miègeville que je dois d’avoir découvert la riche histoire d’Edmond Rostand à Luchon. Curieusement, ses biographes ne se sont guère intéressés aux vingt-deux étés que l’enfant Eddy, puis l’adolescent et le jeune homme Edmond, ont passés au soleil des Pyrénées. Toute l’attention s’est portée sur son enfance marseillaise, sa carrière à Paris et sa vie à Arnaga, le palais refuge construit à Cambo-les-Bains.

Lui, l’enfant de bord de mer, découvre la montagne, l’arpente lors de longues promenades, à pied ou à cheval, et se laisse aller aux émotions que lui procurent la nature. Il se gorge de ces Pyrénées qu’ils n’oubliera jamais.

Et c’est bien à Luchon qu’Edmond Rostand a découvert ses premières émotions théâtrales, le Guignol pourrait en témoigner. C’est bien à la Villa Julia qu’il compose ses premiers vers, écrit ses premières pièces, organise ses premiers spectacles… Et monte en qualité de comédien, pour la seule et unique fois, sur la scène d’un théâtre, celui du Casino.

Enfin, c’est bien à Luchon que Rosemonde Gérard, son indispensable épouse, vient illuminer sa vie. Muse, coach, infirmière, documentaliste, soutien de tous les instant, elle est la pierre angulaire sur laquelle le poète et dramaturge construit sa vie.

Un grand bravo à Christian de Miègeville de nous rappeler ici, avec force détails et anecdotes, agrémentés de documents rares, que c’est bien à partir de Luchon qu’Edmond a escaladé les pentes de la gloire et est devenu Rostand !

Thomas Sertillanges

Président du Festival Edmond Rostand et des Amis du Musée Cyrano de Bergerac

Auteur de « Edmond Rostand, les couleurs du panache ».

ROSTAND SECRET A LUCHON

Edmond Rostand, à l’âge de deux ans, vient la première fois à Luchon avec ses parents. Son dernier séjour fut en 1895, vingt-cinq années plus tard. Ses vacances, l’été, de plusieurs semaines n’ont pratiquement pas été étudiées par ses biographes.

Et pourtant !

C’est à Luchon qu’il a écrit ses premiers ouvrages.

C’est à Luchon qu’il vécut une enfance et une adolescence insouciante à « galéjer » et courir la montagne.

C’est à Luchon qu’il rencontre Rosemonde Gérard, sa future épouse.

C’est à Luchon qu’il a joué la seule fois de sa vie sur la scène d’un théâtre.

C’est enfin à Luchon qu’il a été le plus heureux.

C’est à Luchon qu’un acte d’une pièce inédite et inachevée La Maison des Amants a été créée en septembre 2019.

Pour toutes ces raisons, J’ai rédigé cet opuscule en août 2020, revu en juin 2022 à l’occasion de la commémoration des cent ans de la pose du buste du poète en juillet 2022.

J’offre ces pages à la ville de Bagnères-de-Luchon, sa ville de cœur.

Christian de Miègeville. Président de Luchon d’Antan.

À L’ORIGINE UNE FAMILLE D’ARTISTES ET DE BANQUIERS.

Dans la famille Rostand, gestion de l’argent et sensibilité artistique font bon ménage depuis plusieurs générations. L’arrière-grand-père d’Edmond, poète et amateur de musique est nommé maire de Marseille à partir de 1830. Son grand-père Joseph, lui aussi féru de musique, travaille pendant trente ans comme receveur municipal de la cité phocéenne et est administrateur de la Caisse d’épargne qu’il a contribué à créer. . Il entretient une liaison avec Françoise de Ferrari (1809-1861), alors mariée à Louis Preyre. C'est de cette liaison que naissent Eugène en 1843 et son frère Alexis en 1844, père et oncle d’Edmond.

Alexis et Eugène

Les enfants sont déclarés « fils de parents inconnus » et inscrits sous le patronyme Marans pour Eugène et Gasan pour Alexis.

Louis Preyre disparaît en 1855. Un an après le décès de son mari, Françoise de Ferrari épouse son amant, qui reconnaît ses deux fils quatre ans plus tard, alors que ceux-ci sont âgés de 13 et 12 ans.

Françoise, atteinte de neurasthénie, s'éteint en 1861 à l’âge de 52 ans. Edmond Rostand sera fasciné par cette femme mystérieuse, aux origines espagnoles.

Dans le soir une phrase vole,
Par mon père dite jadis :
« Ta grand-mère était espagnole. »
Ma grand’mère était de Cadix !

Poème Les Pyrénées. Les Musardises 1887.

La famille Rostand sera toujours liée aux Preyre dans les joies comme dans la douleur

Eugène Rostand, poète et banquier

Il n’existe à ce jour aucune biographie sur le père d’Edmond.

Le lecteur trouvera retracé ici sa vie d’avocat, de poète, de gestionnaire, de politique d’homme du monde et surtout d’humaniste.

J’ai donné une place importante dans cette étude à cet homme charismatique qui a offert à son fils le goût de la poésie. Ses relations avec Edmond seront souvent conflictuelles, mais l’amour donné en retour à ses parents l’emportera toujours face aux dissensions.

Eugène à 25 ans. Coll de Gorsse

Eugène Rostand est né à Marseille en juin 1843.

À dix-neuf ans, il obtient sa licence de lettres à Aix.

Il défend en mars 1868, au conseil de guerre siégeant à Marseille, un homme de vingt-neuf ans. Mousse à douze ans, soldat à dix-huit, il s'est vu à vingt-trois ans, par le plus rare concours de fautes et de fatalités, frappé de vingt et une années d'emprisonnement. C'est de cette époque, 1860, que date sa transformation. Il s'est promis d'effacer le passé et de se relever par une bonne conduite constante, par un travail intellectuel opiniâtre, dont les résultats ont de quoi confondre le plus incrédule. Il passait ses journées dans l'atelier du pénitencier à faire des souliers, et ses nuits dans sa cellule à écrire. Ce qu'il a entassé de notes, d’essais, de réflexions, est inouï. Le défenseur Rostand cite quelques fragments du volume en vers qu'il a entre les mains. Au milieu de faiblesses, d'exaltations fiévreuses et maladives, il y a de belles choses et des choses charmantes.

Le jeune est habile avocat offre du prévenu un tableau touchant, ce qui ne suffira pas à l’accusé qui sera condamné.

Ému par cet homme qui a essayé de trouver une rédemption dans l’écriture, Eugène en février 1867 publiera une critique du « Manuel à l’usage des présidents des conseils de guerre » par E. Peloux. Saluant cet ouvrage, il notera en substance : « Je souhaite que ce manuel soit déposé auprès de chaque conseil de guerre de l’empire ».

Ulcéré par sa vision du délitement de la société, il fait paraître, au cours de l’été 1869, un petit opuscule rageur d’une trentaine de pages contre le réveil des consciences et l’explosion des idées nouvelles : Où nous en sommes, où il regrette que : « Foi religieuse ou morale, autorité publique, hiérarchie sociale, idées de devoir, d'obéissance, de règle, tout ce qui est respectable en ce monde, tout ce qui constitue les assises fondamentales et essentielles des sociétés humaines, ici avec de perfides déférences , là avec une cynique audace, est raillé, mis en question, battu en brèche. »

On le devine, Eugène, ardent catholique à la moralité sévère fut un père aimant pour Edmond, pas un papa comme on l’entend aujourd’hui. Comme tout bourgeois du XIXe siècle, il approuve une éducation rigoureuse où l’affection étalée est ressentie comme une faiblesse.

Le salon des Rostand.à Marseille . Coll.Villa Arnaga, Cambo

À travers la politique : notes au jour le jour, recueil d’une soixantaine de pages édité en 1871 après la défaite de Sedan, la capitulation et l’emprisonnement de Napoléon III, Eugène ouvre son cœur et exprime ses doutes sur la République de Monsieur Thiers.

Suite à ces brochures, le journal de droite bonapartiste « L’ordre de Paris » lui demande d’écrire des « Notes au jour le jour » où ses croquis politiques dans un ton ferme mais léger, si délicat et si fin font les délices de ses lecteurs durant l’année 1873.

Il entre au Conseil d'administration de la Caisse d'épargne des Bouches du Rhône à 23 ans. En 1886 Il en devient président à 43 ans et jusqu'à sa mort.

Eugène, le poète

Il publie en juillet 1865 son premier recueil de poésies : Ébauches.

Des vers harmonieux et bien frappés, des sentiments délicats, souvent tendres, voilà ce qu'il y a dans ce livre qui nous arrive de Lyon. Il sort des presses de Louis Perrin, c'est dire qu'il est remarquable par sa typographie et par le papier sur lequel il est imprimé. Celui-ci ne sera pas un des moins recherchés de cette belle collection. Le contenu est digne du contenant. (La Presse, 24 juillet 1865)

Puis, c’est Poésies Simples publiées en 1874 ou on retrouve le texte de Ruth et Gloria Victis et surtout des vers sur son fils Edmond qui seront repris dans l’édition des Sentiers unis en 1886.

Le Nid

Parlez bas .... Il dort là, l'enfant qui vient de naître ...
Le berceau ! Dites-moi, pensez-vous qu'il puisse être
Au monde un nom plus pur, plus charmant et plus saint,
Et qui soit plus suave à la lèvre, et pénètre
Plus avant dans le cœur, lorsque le cœur est sain ?

Eddy

C'est pourtant vrai : je ne travaille
Volontiers que si je le vois,
Et je ne ferais rien qui vaille
Si je n'entendais pas sa voix.

La langue écrite par Eugène Rostand est simple, elle se met à la portée de tous et n'exclut nullement la grâce et la délicatesse. Il y a là quelque chose de l’âme d’André Chénier et de l’esprit de Musset écrira l’auteur dramatique Édouard Fournier

Dans Les Sentiers unis, dans les sept poèmes regroupés dans le chapitre d’Un été en Montagne des Sentiers unis, on trouve de nombreuses pages sur Luchon, les meilleures de l’ouvrage.

C'est une poésie intime, discrète, libre de toute influence absorbante, et une personnalité absolument émancipée. Une émotion y perce, une flamme y circule, vivifiante, et l’étincelle jaillit. L'inspiration coule et parfois bouillonne, la moisson, déjà brillante, mûrit aux rayons du soleil qui a fécondé ses germes et réchauffe ces tiges naissantes.

L’écrivain Paul Bosq écrira au sujet d’Eugène Rostand : « La poésie n’a étouffé, chez Monsieur Eugène Rostand, ni la grande envie d'apprendre, ni l'insatiable désir de savoir, ni l'immense curiosité qui est en lui, ni le polémiste dont les brochures et les articles sont pleins de pensées et de faits, ni « l'amour de la nature » qui rend si bien ses impressions, ni l'orateur, ni même l'administrateur, ni l'homme politique, conservateur modéré et progressiste, plus démocrate peut-être qu'il ne le pense, justement préoccupé des problèmes sociaux, et qui pourrait faire sienne la vieille devise de points « Tout pour le peuple et par le peuple », ce qui est de la bonne et véritable démocratie. »

Élu au Conseil Municipal de Marseille en 1877, il devient adjoint au Maire.

En novembre 1877, il est nommé officier d’académie.

Le 13 février 1887 est un grand jour pour Eugène, président de l’Académie de Marseille. Le célèbre poète félibre Frédéric Mistral reçu prononce l’éloge du poète avignonnais Théodore Aubanel en provençal. Rostand répond au récipiendaire en un discours brillant et poétique qui retrace la carrière littéraire de l’auteur de Mireille

Autre moment de fierté, c’est le couronnement de son fils Edmond, étudiant en droit de la faculté de Paris, au concours de l’académie de Marseille pour son manuscrit sur le sujet imposé : Deux romanciers de Provence, Honoré d’Urfé et Émile Zola.

Eugène entre en politique

En mai 1870, naît Le Journal de Marseille. Les capitaux de sa belle-famille, les Gayet, entre autres, l’ont financé. Son inspirateur et rédacteur principal en sera sans conteste Eugène Rostand dont le nom est inséparable de ce que l’on a appelé le « paternalisme » marseillais. Il s’en donne à cœur joie et critique le gouvernement Gambetta de 1877.

Eugène Rostand en costume d’Académicien

Un autre journal marseillais, La Jeune République soustitrée « si nous sommes un journal à un sou, nous ne consentirons jamais à être un journal d’un sou » lui répond dans ses colonnes. Il s’ensuit des joutes oratoires savoureuses, piquantes, mais toujours courtoises :

Le Journal de Marseille, réédite un quatrain qui fut trouvé collé sur un arbre de la liberté en 1818.

Voici le quatrain :

On a bien fait de prendre un chêne
Pour arbre de la liberté,
Car ses fruits nourriront sans peine
Les animaux qui l'ont planté.

Il nous semble que le quatrain aurait eu tout autant de saveur, s’il avait été dans le goût de celuici, que nous dédions humblement à M. Eugène Rostand, membre de l’Académie de Marseille :

On a bien fait de prendre un chêne
Aux longs bravos du peuple uni,
Car les fruits nourriront sans peine
Les animaux qui l'ont béni.

La jeune République, 13 juillet 1877.

À travers son activité de journaliste, Eugène se construit un capital culturel.

Grâce à ses talents de poète et une proximité avec les milieux littéraires et musicaux, à des réceptions à son domicile, ce qui n’a pu manquer d’influencer sur son fils Edmond, il s’affirme aussi à Marseille comme une notabilité progressiste et sociale-chrétienne.

Le bonapartisme en politique se construit tardivement, « ni bonnets-rouges, ni talons rouges ». Lorsque Louis Napoléon Bonaparte, neveu de l’empereur, prépare sa campagne présidentielle en 1848, il bénéficie du soutien d'un groupe de fidèles que l'on peut qualifier de bonapartiste. Mais son succès est dû au dépassement de cette mouvance, puisqu'il rallie aussi bien des légitimistes que des socialistes et des républicains conservateurs.

En août 1877, Eugène est délégué à l’instruction publique et aux Beaux-Arts à la mairie de Marseille. Il prend très au sérieux sa charge et propose de recréer le jardin zoologique abandonné en l’ouvrant gratuitement le dimanche et toute l’année aux élèves des écoles communales. Il obtient aussi l’institution de nouveaux cours sur la peinture et les arts auxiliaires de l’industrie en 1877. Il entreprend également un combat pour la reconnaissance légale du statut associatif à but non lucratif.

Combat qui prendra son terme par la loi de 1901.

Ses ambitions politiques ne s’arrêtent pas à Marseille et poussé par ses amis, fascinés par son art oratoire, l’ancien adjoint au maire de Marseille se présente à la députation à Castellane comme candidat conservateur en janvier 1878. Il sera battu très largement et poursuivi pour corruption électorale pour avoir distribué quelques pantalons de drap pour vêtir les pauvres d’une commune et fait distribué du pain aux indigents. On lui reproche aussi de s’être servi de son journal comme d’une feuille plébiscitaire. Il sera condamné à cent francs pour corruption électorale. La cour de cassation déboutera ce jugement et Eugène est relaxé sans dépens.

L’éléphant du parc zoologique. Marseille. Coll Ch de M.

En décembre 1879, il pose sa candidature au conseil général dans le canton d’Entrevaux au nord de Nice.

En août 1880, il est de nouveau battu dans le canton d’Annot à quelques kilomètres d’Entrevaux.

En août 1881, il se présente à nouveau à Castellane en s’adressant aux électeurs avec cette profession de foi :

La liberté pour tous.
Les principes sociaux.
Les progrès locaux.
L'amélioration du sort du peuple.
La réduction des impôts.
La paix.

À nouveau battu et pour se remettre de ses échecs électoraux, il s’attelle à la traduction d’une œuvre monumentale, les poésies de Catulle, poète romain du 1er siècle avant notre ère. Deux gros volumes qui paraîtront de 1879 à 1882. Certaines poésies seront mises en musique par son frère Alexis.

Castellane, sur la route Napoléon. Coll Ch de M.

Le Sud-Est ne lui réussissant pas, Eugène, annoncé comme propriétaire à Luchon se présente en Haute-Garonne à la députation d’août 1885. Ses discours sont remarquables d’éloquence et il est fortement applaudi notamment à la réunion d’Auterive.

Après dépouillement des votes du premier tour, un premier recensement donnait 45000 voix à un candidat conservateur, 44001 à un sixième et 29663 à Eugène Rostand. Mais ces chiffres ne correspondant pas avec les renseignements recueillis par le comité des élections. Rostand se fait communiquer par la préfecture les procès-verbaux de recensement. Il y découvre qu’une erreur de 8000 voix avait été commise à son préjudice. Dans ces conditions, cinq candidats conservateurs sont en ballotage. En conséquence, même s’il est premier de son groupe il se désiste en faveur d’Adolphe Tron, fils du maire de Luchon.

Eugène qui n’a jamais aimé les conflits, fait paraître la note suivante dans la presse :

Toulouse, 10 octobre 1885.
A messieurs les présidents des comités conservateurs.

Messieurs,

Il subsiste, malgré le verdict du suffrage universel, une dissidence dans le parti conservateur de la Haute-Garonne.

J’ai eu plus de 36,900 suffrages, le 4 octobre. M. Oldekop en a eu 17,000. Si l’un des deux ne s'efface pas, la candidature de l'un de nos adversaires peut prévaloir.

Or, M. Oldekop déclare dans la Souveraineté du peuple qu’il ne se désiste pas.

Eh bien, c’est moi qui me sacrifierai !

Castellane, sur la route Napoléon. Coll Ch de M. 10 Animé de sentiments plus patriotiques, ne m’inspirant que du désir d’assurer, le 18 octobre, le triomphe de la liste conservatrice, j’ai l’honneur de vous adresser mon désistement.

Je remercie du fond du cœur les amis qui m’ont soutenu et les électeurs qui m’ont donné leurs voix.

Et vous pouvez compter que je continuerai, jusqu’à la dernière heure de la lutte, la campagne entreprise avec vous.

Veuillez agréer, messieurs, l’expression de mes sentiments les plus dévoués.

(La Gazette de France, 14 octobre 1885).


À la suite de cette annonce, M. Olderkop se désiste aussi.

À sa place est nommé Adolphe Tron, fils du l’ancien maire de Luchon décédé en 1881.

Eugène dépité (non député) par ses échecs électoraux, mais opiniâtre, décide d’exprimer ses idées par l’écriture. Au moins, il restera quelque chose des rêves qu’il énonce lors de ses réunions publiques.

Dans son livre sur Les Questions d'économie sociale dans une grande ville populaire paru en 1889, il dénonce les conditions de logement des ouvriers marseillais, la question des loyers, le logement insalubre et les problèmes d'assainissement à Marseille. En 1890, il rencontre le président de la République Carnot et lui explique en tant que président de la « Société des habitations salubres et à bon marché » le but et le fonctionnement de la société : les adhérents deviennent au bout d’un certain temps, propriétaires de leur logement.

Parution de 1889

Dans les années 1890, Eugène Rostand mène campagne pour que les Caisses d'épargne puissent disposer du libre emploi des fonds qu'elles collectent, afin de développer l'économie locale et de mener des actions sociales de proximité, à l'exemple des bons de pain qu'il avait créés pour venir en aide aux plus déshérités des Marseillais. Il joue un rôle moteur dans la création du réseau des Banques populaires : il fonde ainsi la Banque Populaire de Marseille, et, en 1889, crée le Centre fédératif du Crédit Populaire.

Il s'investit dans diverses institutions sociales, tant au niveau national que local.

Membre de la Société Française des Habitations à Bon Marché, (HBM), Il fonde avec le député Jules Charles Roux la «Société des habitations salubres et à bon marché de Marseille». Il préside le Comité départemental des HBM des Bouches-du-Rhône. Il fonde « La Pierre du Foyer », qui est sans doute la première société coopérative d’HBM de France, la Société de Crédit Immobilier de Marseille, et la société des jardins ouvriers. Il est membre du Conseil supérieur des HBM, du Conseil supérieur de la mutualité, du Conseil supérieur des Sociétés de Secours mutuels et du comité de l'Alliance coopérative internationale.

Passionnante, mais harassante, la vie d’Eugène a besoin de repos

Loin de sa vie professionnelle, Eugène et sa famille en villégiature dans les fraîches Pyrénées s’intègre très vite à la vie luchonnaise depuis qu’il est propriétaire. Il devint membre dès sa création à la Société des Études du Comminges, fondée en 1885 par Julien Sacaze en y faisant des communications et en participant aux sorties. Il reçoit l’été dans sa villa des écrivains, des hommes politiques et ses amis banquiers.

Dans le parc de la villa on amuse à la roulette ou au mini billard, au jeu de la grenouille, au croquet, au tir au pigeon mécanique ou au jeu de quilles en bois. Le soir on se dirige vers le casino écouter l’orchestre ou assister aux représentations des artistes parisiens en tournée. Tragédies, vaudeville ou scènes lyriques d’opéra sont jouées sur la petite scène du théâtre.

Parfois, la famille se rend au bal de la salle des fêtes du casino. Les enfants, quand il pleut, jouent du piano. Certains soirs, ils convient les adultes à des saynètes comiques en un acte.

Eugène fait partie du jury à de très nombreuses Fêtes des Fleurs créées depuis 1888. Il assiste aussi comme juge à la Fête des Fleurs des enfants jusqu’en 1913.

Eugène Rostand . Coll B de Gorsse

Il terminera sa vie à Arnaga dans la maison basque de son fils où il mourra en janvier 1915 à l’âge de soixante-douze ans.

Assis à gauche, Eugène juré à la Fête des Fleurs 1907 Coll Ch de M

Les funérailles officielles d’Eugène Rostand sont célébrées le 24 janvier 1915, dans le hall de la Caisse d’Épargne, à Marseille. M. Wulfran Puget, son cousin, se souviendra: « Ses collègues, ses collaborateurs, les autorités de la ville et une foule considérable d’amis et d’admirateurs lui témoignèrent les plus touchants regrets et la douleur. L’immense cortège qui l’accompagna ensuite à l’église et au cimetière donna l’impression que sa mort était pour ses concitoyens un deuil public ».

Alexis Rostand par Léon Bonnat. Musée des Beaux-Arts de Marseille

Alexis Rostand, l’oncle musicien et banquier.

Alexis Rostand (1844-1919), grand nom de l’histoire bancaire française, s’est distingué par ses qualités de gestionnaire à travers une brillante carrière au sein du Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP) ancêtre de BNP Paribas où il a a passé cinquante années de vie professionnelle.

Mais ce financier hors de pair était aussi un artiste qui a toujours su conjuguer son métier avec une passion certaine pour la musique.

À dix-neuf ans, il entre comme sous-directeur de la nouvelle agence de Marseille, il se distingue par son efficacité mais aussi par sa gestion habile et prudente, soucieux de l’intérêt général sans jamais cesser ses compositions et écritures musicales. Il réussit à maintenir l'activité lors de l’épidémie de choléra et des agitations marseillaises de 1885. Contribuant à l'industrie locale, il développe le commerce vers les pays d’outremer et vers l’Asie et coopère aux emprunts de l’État et de la ville de Marseille.

À la suite de la crise du cuivre et du suicide d'Eugène Denfert-Rochereau en 1889, Rostand lui succède comme directeur le mois suivant pour redresser le Comptoir national d'escompte de Paris alors en pleine faillite. En six ans, le CNEP a multiplié son capital par cinq, dispose de quarante agences en France, dont dix-sept à Paris, et retrouve son implantation à l’étranger (en 1889, le CNEP n'avait plus que trois agences en province et huit à l’étranger).

Il prend les fonctions de directeur général et administrateur en 1902, puis président du Conseil d'administration du Comptoir national d'escompte de Paris en 1908.

Il quitte la présidence dix ans plus tard.

Le Musicien

Son père lui fait donner des leçons de solfège et de piano au conservatoire de Marseille.

Chaque dimanche, à deux heures moins le quart, Joseph Rostand et ses deux fils se rendent au concert.

Dès l’âge de quatorze ans, il compose et écrit des pièces musicales. Alexis met en pratique ses notions d’harmonie, et compose la musique d’un opéra en trois actes. Plus tard, entré dans la banque, il poursuit l’étude du contrepoint et de la composition. Il participe à de nombreuses manifestations artistiques organisées dans sa ville.

La musique n’est pas pour Alexis Rostand une distraction dilettante, mais une des formes les plus élevées de l’Art.

Sous-directeur du Comptoir d'Escompte de Marseille auquel il était obligé de donner beaucoup de son temps, et un compositeur dont le talent n'est nullement celui d'un amateur de musique qui lui donnerait seulement ses loisirs, Alexis Rostand est un grand artiste s'y consacrant tout entier et à toutes les heures qu'il peut dérober à ses chiffres. Il faut avoir à la fois beaucoup d'intelligence et d'activité pour accomplir de pareils tours de force et exceller également dans les deux parties de la finance et de l'art.

La musique à Marseille. Essais de littérature et de critique musicale, par Alexis Rostand, 1874. Archives historiques BNP Paribas

Si on laissait Alexis à ses tendances naturelles et suivre la pente de ses instincts et de son caractère, il se consacrerait complètement à la musique. C'est ce qui ne pourra manquer de lui arriver un jour, au fur et à mesure que les succès qu'il est certain d'obtenir le pousseront dans la carrière artistique. C'est ainsi que Mendelssohn, Meyerbeer et quelques autres compositeurs, à qui leur position de fortune aurait permis de cultiver la musique en simples amateurs, se sont voués plus tard complètement à l'art qui leur donnait l'agrément avant de leur procurer la gloire.

Comme son frère Eugène, sans doute conscient qu’il ne sera pas un grand compositeur, mais peut-être aussi ne s’en donne-t-il pas les moyens, Alexis ne sautera jamais le pas pour se consacrer uniquement à son art.

En mars 1872, Ruth, grand oratorio biblique donné à Marseille dont la recette a été donnée au profit de l’œuvre de la libération fut un grand succès selon les gazettes.

« Ce qu'il faut louer avant tout dans l’œuvre de Monsieur Rostand, c’est sa couleur pittoresque et originale, le mélange heureux dans la grandeur et de la simplicité qui devait donner à la musique ce caractère biblique dont la forme à quelque chose de la solennité des temps antiques, et en même temps ce charme, cette tendresse, cette candeur naïve les peuples primitifs. il faut dire aussi que Monsieur Alexis Rostand a été admirablement servi par son frère monsieur Eugène Rostand, qui a écrit le poème de Ruth et qui en a fait en quelque sorte une ode symphonique à la façon ses oratorios de Haydn, Gounod, Mendelssohn ou Haendel… »

Il privilégie la mélodie, chantée dans les salons, le chant accompagné au piano et les poèmes mis en musique. Il compose des préludes pour piano, des pastorales pour violon et piano, des pièces pour orchestre.

À trente ans, Alexis Rostand est déjà « l’un des artistes de province qui aient su se faire un nom, s’imposer au public, et dont les œuvres aient eu l’honneur de l’exécution à l’étranger ».

Il publiera en utilisant trois pseudonymes ; Darston, Montaux, et Jean Hubert. Darston étant l’anagramme de Rostand.

À Luchon, il est accueilli chez son frère Eugène à la Villa Julia au bord de la Pique.

C'est Alexis qui achètera le castelet de Guignol à Edmond.

Sans descendance, Alexis est très lié à son filleul Edmond. L’auteur de Cyrano lui dédie sa première pièce en vers Pierrot qui pleure et Pierrot qui rit. C’est Alexis qui mettra en musique La Samaritaine, le premier grand succès d’Edmond.

Quand il meurt, le 2 avril 1919, Alexis Rostand est un notable respecté qui collectionne de multiples distinctions honorifiques, tant dans le domaine des arts que dans le monde de la finance. Il était président de l'Académie des sciences, lettres et arts de Marseille de 1883 à 1884 et vice-président de la Société des amis des arts.

C’est un homme qui a prouvé, comme il a été dit dans un discours de 1874 à l’Académie de Marseille, que l’on peut allier « la faculté des plus précis calculs de la finance avec les plus lyriques élans de la poésie des sons » mais qui a toujours souhaité dissocier ces deux activités pour rester crédible dans les deux milieux. Si sa notoriété de musicien n’a pas passé le cap du XXe siècle, elle a pourtant été réelle de son vivant et l’on retient, aujourd’hui encore, la conscience professionnelle, l’érudition, et l’esprit d’initiative du banquier.

Ruth (1870) et Gloria Victis (1875) ont été écrit à Luchon par Eugène, Alexis Rostand composant la mélodie.

Il écrit notamment:

Vingt mélodies : chant et piano.1878. Ballets de Rosa Nera, transcrits et arrangés pour 2 pianos par l'auteur. 1903

Les saisons et les Heures.1904

Les Amphores, choix de poésies de Catulle, d'après la traduction française de Eugène Rostand. 1913.

Les deux Pierrot, divertissement pour salon écrit par Edmond Rostand au cours de l’été 1891, est mis en musique à Luchon par son oncle Alexis.

Il meurt à Paris en 1919 à soixante-quatorze ans

Les deux Pierrots. Coll Ch de M.

Angèle, la tendre mère.

Née à Marseille en août 1844, elle est la fille d’un négociant, membre du conseil municipal de Marseille, juge au tribunal de commerces et administrateur de la caisse d’Épargne... D’apparence plutôt grave et réservée elle s’exprime à travers la musique.

Pianiste de talent, jouant à merveille les romantiques et en particulier Beethoven, elle organise des concerts dans leur appartement marseillais, et transmet cet amour de la musique à ses deux filles. Entre un père poète et une mère musicienne, l'atmosphère du foyer des Rostand influença sans aucun doute leur fils Edmond, faisant de lui un être sensible, un rêveur, et plus tard un auteur à succès.

Angèle était perçue comme une figure plus autoritaire que son époux. Son petit-fils Maurice, dans Confession d'un demi-siècle, écrit :

« Ma grand-mère était différente : il y avait en elle plus d'autorité, quelque chose de plus nettement matériel, bien qu'elle fut magnifiquement croyante. Elle n'avait pas la même indulgence que mon grand-père. Elle n'avait pas, elle, traduit Catulle... Quelque chose de plus sévère émanait d'elle : elle détestait le divorce, appréciait les beaux mariages, croyait en ces honneurs avec lesquels mon grand-père s'amusait ou se consolait ! Peut-être était-elle plus catholique que chrétienne ? Elle avait d'ailleurs de l'esprit, une manière impertinente de dire les choses et beaucoup d'allure dans beaucoup de circonstances ».

Angèle Rostand née Gayet. Coll Arnaga

Juliette Rostand, la sœur ainée

D’un tempérament plus expansif que sa sœur, Juliette née en janvier 1872 à Marseille meurt en juin 1956 à Paris à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle reçoit une solide formation musicale et devient une bonne pianiste. Elle consacre son temps au développement de la musique et à la défense des artistes. Elle joue dans les salons parisiens et dans son hôtel particulier. Elle connut les compositeurs comme Francis Poulenc. Leurs lettres ont été publiées en 1944.

Elle reste fidèle à la bourgeoisie phocéenne en épousant Louis Mante (1857-1956), d’une grande famille de négociants.

Juliette et Jeanne Rostand. D’après une photo du Musée Rostand. Arnaga

Jeanne, la sœur cadette.

Née en février 1879 à Marseille, elle épouse le diplomate pierre de Margerie (1861-1942) en 1898. Elle suit son époux, ministre de France au Siam, actuelle Thaïlande, de 1907 à 1909 puis en Chine. Durant la première guerre mondiale, il sera nommé Directeur politique au Ministère des Affaires étrangères du Maroc puis en Belgique de 1919 à 1922.

Leur fils a été l’ambassadeur Roland de Margerie (1899-1990), en amont d’une dynastie de la fonction diplomatique et même bancaire avec Bernard de Margerie chez Paribas à partir de 1951.

Neurasthénique, Jeanne se défenestrera à l’âge de 43 ans en juillet 1922.

C'est la dernière venue
Dans la joyeuse maison.
Encor retenue
En leurs bras, souple prison.

Elle va de la nourrice
A la mère, et rajeunit
Le père, délice
Du foyer qu’elle bénit.

Jeanne. Les Sentiers Unis. Eugène Rostand. 1885.

La célébrité d'Edmond Rostand a éclipsé la vie de ses sœurs. On ne sait pratiquement rien sur leurs vies et elles resteront très discrètes sur leur frère.

Juliette et Jeanne Rostand. Coll Musée Arnaga

LES ROSTAND À LUCHON

Il y a certainement une foule d’explications qui ont poussé Angèle et Eugène Rostand à élire Luchon comme lieu de villégiature.

Marseille. Quai St-Jean

Marseille était au XIXe siècle un haut lieu d'épidémies apportées l’été par les bateaux dont les chargements étaient contaminés. Le choléra, la typhoïde et surtout la variole sévissaient. On craignait pour les enfants et Luchon, célèbre pour ses cures thermales, ensoleillé et frais en été, était tout indiqué pour la santé fragile d’Edmond qui dès les premiers mois de sa vie avait des crises de toux à répétition.

Sa mère Angèle écrit dans son carnet : «Au mois de juillet 1870, il fut très souffrant, mais grâce à Dieu et à un voyage à Luchon où nous passâmes un mois, il se rétablit parfaitement et acheva de percer ses dents ».Il s'amusa beaucoup à Luchon. Il fut énormément gâté par une colonie d'espagnols qui l’ avait pris en affection et qui le comblait de Joujou ».

Le Prince impérial à l’époque de sa chute de cheval par Thiebault.

À la fin septembre la famille retourna à Marseille.

Eugène Rostand, ardent bonapartiste, on l'a vu, n'a pas été sans savoir que le jeune prince impérial, âgé de onze ans, fils de Napoléon III séjourna à Luchon Villa Bertin en 1867 pour effectuer une cure suite à une chute de cheval. Cette Villa achetée par un riche Toulousain, Alamir Ramel, dernier Maître de Poste aux chevaux de Toulouse, bienfaiteur des pauvres et des malades en fit donation aux hôpitaux de Toulouse.

Angèle et Eugène se rendent en Angleterre fin juin 1878, à l’enterrement du fils de Napoléon III, Louis Napoléon Bonaparte. Incorporé sous le drapeau britannique, il fut tué par les Zoulous lors de la guerre en Afrique du sud à l’âge de 23 ans. Ils souscriront à l’édification d’une chapelle commémorative en l’honneur du Prince Impérial.

Pavillon des bains du Prince Impérial aux thermes. E. Soulé

En villégiature, la villa « Julia »

À Luchon, dès 1870, les Rostand louèrent plusieurs années le premier étage du grand chalet Spont, Allées d'Étigny, seul immeuble face au Sud. Ils se plaisent dans cette ville d’eaux et achètent au quartier lane ou lande de Piqué plusieurs parcelles aux anciennes familles luchonnaises Trespaillé, Barrau et Oustau. Ces terrains sont contiguës à ceux des Surre-Fadeuilhe sur lesquels sera construite la villa du photographe Soulé. Une partie des parcelles achetées était destinée à leur ami marseillais, négocient en produits chimiques, Tancrède Pastoret pour que lui-même s’établisse en voisin.

Grand chalet Spont édifié en 1855 par Ed. Chambert, architecte

Chalet Soulé situé près du Chalet Rostand.E. Soulé

Les travaux commencent en 1872. Les murs d’ une villa s’élèvent au bord de la rivière la Pique, petit désert de rochers et de chardons, boulevard du Prince Impérial. De là, la vue sera imprenable sur le magnifique massif de Venasque tout en étant au calme loin du tumulte des allées d’Étigny, ces « Champs Élysées » des Pyrénées.

Sur ce cours, plantées de quatre rangées de tilleuls, artère principale de la ville s’étalait la vie mondaine. Il y sillonnait sans relâche, de fringants cavaliers et de gracieuses amazones. Les somptueux attelages emportaient les aristocrates et leurs courtisanes vers la vallée du Lys, le lac d’Oô ou les casinos du col du Portillon.

En 1873, l’immeuble s’élevant, les Rostand louèrent la villa Devalz située en face de leur future maison, de l’autre côté du parc du casino pour surveiller la construction. Eugène eut maille à partir avec les ouvriers, trouvant que les travaux n’avançaient pas assez vite. Le chalet fut baptisé villa «Julia», diminutif de Juliette, leur fille aînée. La demeure est également parfois désignée comme "chalet Rostand", en référence à l'abondance du décor en bois de l'édifice.

Dessin humoristique paru dans Gil Blas illustré

La villa Julia, actuellement

La villa se trouve auprès de l’allée des veuves, appelée ainsi car quelques éplorées venaient au couchant chercher le frais de la rivière et surtout la consolation masculine.

L’onde roule avec un doux murmure ses flots argentés, couchée, comme une vierge, dans un lit de verdure, défendue par une haie d'aubépine, la Villa Julia s'endort le soir, toute gaie, tout heureuse aux chansons des oiseaux, et se réveille, le matin, toute souriante aux caresses du Zéphyr et au murmure du ruisseau.

Abritée des rayons du soleil, on n’y ressent jamais les ardeurs de la canicule, et quoique entouré d'un massif d'arbres variés, elle ménage néanmoins de tous côtés de magnifiques échappées de vue. Au nord, c'est le regard qui plonge vers le fond de la vallée, en se reposant délicieusement sur les villages dressés en amphithéâtre. À l'Est, c'est l'antique forêt de Montauban, dont les vieux sapins, agités par le vent, semblent mêler leur langage à celui de la cascade, pour célébrer la gloire du Grand Architecte. Au sud, c'est l'âme qui est saisie d'étonnement et d’une profonde admiration, à la vue du port de Venasque, où se dressent comme deux géants, ou plutôt comme deux bastions, les pics de la Picade et le Sauvegarde, ces deux sentinelles qui veillent à la fois sur Luchon et sur Venasque, sur la France et sur l'Espagne.

À l'ouest, c'est la montagne de la Casseyde, ce bijou ciselé, ce jardin de Luchon, où fleurissent les abricotiers et les amandiers, ce charmant petit damier où sont éparses quelques chaumières blanchies, que semble protéger d’en haut l’église de Cazarilh.

La villa Julia. Photographie colorisée. Ed. Soulé

En octobre 1883, devant acte passé devant maître Comet, ils agrandissent leur propriété de près de 1000 m2 en rachetant la parcelle Pastoret à sa veuve.

Cette habitation devra faire nécessairement le délice de la famille Rostand et des jeunes enfants, jusqu'à lui offrir à un abrégé complet de toute la nature, légumes et fruits, saisons, climats.

En 1991, les Compagnons Charpentiers du Devoir ont œuvré à la réfection de la toiture de la villa, travail pour lequel ils ont reçu la médaille de Clément V de la part de l'Académie Julien Sacaze en 1993.

Au premier à la fenêtre, Eugène Rostand. A gauche, sa femme Angèle, sa fille Jeanne, son gendre Pierre de Margerie (époux de Jeanne) assis dans la chaise longue, et leur fils Roland.

Edmond à Luchon

On connaît les premières années d’Edmond à Luchon grâce au carnet écrit par sa mère conservé au musée d’Arnaga à Cambo-les-Bains.

En été 1870, elle Angèle écrit :

« Edmond à passé deux mois avec une santé parfaite. Il a pris une dizaine de bains à la source blanche et il buvait tous les jours un grand verre de Ferras nouvelle. Je prends mes petits œufs (z’oeufs, z’eaux) disait-il. Presque tous les jours, il monte à âne avec un aplomb superbe. Guignol et les ballons étaient ses plaisirs favoris. »

Les ballons, une attraction !

Savez-vous quel est celui qui a le plus de succès tous les soirs ? Celui qui fait battre le plus de cœur, celui qui enchaîne le plus de regard ? C’est le ballon. Pendant qu'on est à le gonfler, on l'entoure avec admiration, puis, quand on le laisse partir, toutes les respirations s’arrêtent. Il court comme un frisson d'angoisse. Lui, se lève lentement et comme à regret, puis il semble trébucher, il se balance à gauche à droite comme un des 6 points partira-t-il, partira-t-il pas ?

Le vent ne lui sera-t-il point contraire ? Les poitrines sont haletantes, tous les yeux sont fixés sur lui. Enfin il se lève, se lève toujours, son globe lumineux diminue à vue d'œil. Il monte encore, le voilà étoile, puis plus rien. Adieu ballon ! Quelques minutes après, une étoile filante s'abat sur la montagne… Le triomphateur de tout à l'heure, n'est plus qu'un sale lambeau de papier à moitié brûlé et accroché aux branches d'un sapin ! L'avenir de Luchon, août 1875.

Le baron d’Étigny par Gustave Crauk érigé en 1889

La statue du baron d’Étigny par Crauk n'était pas encore édifiée, elle le sera en 1889.

Eugène Rostand ayant besoin d’essences d'arbres pour sa propriété a besoin des services du père d'Henri de Gorsse, Ernest, employé par la municipalité en tant qu’inspecteur des eaux et forêts.

Naturellement, les deux enfants se lient d’amitié.

Henri raconte :

À sept ans, Edmond était un petit garçon mince et délicat, aux yeux profonds, au visage mat encadré de longues boucles brunes. Ses jeux étaient contenus par les grilles chargées de lierre de la villa Julia où grimpaient de bleues glycines odorantes.

C’est vers ses dix ans que ses parents acceptèrent que le jeune Edmond sans doute trop bruyant avec ses camarades choisis s'en allèrent faire voguer, le long du ruisseau coulant au bas de la colonnade des thermes leurs petits bateaux.

Alors que tous les petits luchonnais salivaient devant les jouets du bazar, ceci laissaient Edmond indifférent.

Edmond Rostand par Eugène Lagier. Coll Musée Arnaga

Avant de gagner leurs demeures,
Ils regardent pendant des heures
Les beaux joujoux.
C’est leur plaisir à ces mioches
Qui n’ont pas au fond de leurs poches
Des petits sous.

Deux Magasins. Joujoux. Les Musardises.

Il préférait cueillir les fleurs du parc des Quinconces, puis ne sachant plus où les conserver, il les aima pour elles-mêmes.

Nous sommes les fleurs des fleuristes,
Nous sommes les fleurs des marchands,
Les petites fleurs qui sont tristes
De ne pas fleurir dans les champs

- Et nous sommes dans les boutiques,
Sur du gazon artificiel,
Les petites fleurs nostalgiques
D’air pur, de lumière et de ciel.

Deux Magasins. Fleurs. Les Musardises.

Il allait les observer sur les hauteurs au-dessus des thermes, mais aussi sur les bords du chemin vers la tour de Castelvieilh où les premiers lacets du val de Burbe. Parfois, au milieu des ronces, il se régalait de mures.

J’étais là, bien couché, mon chapeau sur les yeux,
Bercé dans un tintement de cloches éloignées,
Ramenant quelquefois des touffes par poignées
Pour hâter mon complet ensevelissement…

La fleur. les musardises.

Descendant du col du portillon après avoir rêvassé à la vue du Val d'Aran et s’être désaltéré au casino du portillon, Edmond et ses amis étaient rappelés par le tintement des cloches des églises.

Le Carillon de Saint-Mamet,
Tinte quand d’or le ciel se teinte ;
Comme si le soir s’exprimait,
Le Carillon de Saint-Mamet,
Mystérieusement se met
A tinter dans l’air calme… Il tinte,
Le Carillon de Saint-Mamet,
Tinte, quand d’or le ciel se tinte !

Le Carillon de Saint-Mamet. Les Musardises.

Puis se rapprochant, c'était les cloches des hôtels qui appelaient le rassemblement pour le dîner. Edmond à cette époque était un garçonnet un peu triste au visage très expressif. Ses yeux profonds contemplatifs se perdaient souvent dans de mystérieuses pensées quand il se repliait sur lui-même.

Parlant peu, il préférait observer la nature. Les fleurs et leurs senteurs le plongeait dans une extase profonde et les eaux tumultueuses des cascades du Parisien ou de celle du Cœur, sur la route de l’Hospice de France l'attiraient et lui provoquait une inquiétude mystique.

Mais, au grondement tumultueux et sonore, Édouard, préférait les petites sources surgissant de la montagne de Superbagnères. Il voua un culte poétique aux sources et aux rivières du pays luchonnais.

La Fontaine de Caraouet
Est la plus charmante de toutes,
Elle chante comme un rouet,
La Fontaine de Caraouet!
Elle est si fraîche qu’Arouet
Perdrait, en y buvant, ses doutes.
La Fontaine de Caraouet
Est la plus charmante de toutes.

La Fontaine de Caraouet. Les Musardises.

1-Eugène Rostand, 2-Xavier de Manet (1852- Écrivain, bibliothécaire à la cour de Belgique du Roi Léopold, journaliste à La Croix, minotier à Marseille), 3-Vicomtesse de la Fontaine-Solars, 4-Mme Guérin, 4-Mme Dutour, (devant elle, 6 et 7 les deux enfants Loze), 8-Mme de Manet. 9-Mme Ernest de Gorsse, (sur ses genoux 10-Valentine de la Fontaine future épouse de Ferdinand de Lesseps, fils du promoteur du canal), 11-Mme Guérin, 12-Mme Salles (marquise de panat, mariée à Samuel de BRUNET- CASTELPERS de PANAT, marquis de Panat - maire de L'Isle-Jourdain (1884-1892) ), 13-Edmond Loze ( Inspecteur des Forets), Mme X, 14-Georges Guérin, Henry de Gorsse (canotier) 15-Mme Loze, 16-Jeanne Rostand, 17-Emile Loze, 18-Mme Rostand, 19- Jeanne de la Fontaine, 20-Bertrand de Gorsse, 21-Edmond Rostand, 22-Juliette Rostand

Photographie à la Fontaine du Pré. Luchon

Vers ses quatorze, quinze ans, Edmond qui avait les premiers symptômes du dandysme, mais qui surtout commençait à s’émanciper du carcan familial en s’attaquant de loin aux adultes, bombardait de teignes les châles des élégantes qui se promenaient allée des veuves. Il en jetait aussi sur les costume en lin clair des messieurs qui jonglait avec leur canne, moulinant l'air, comme d'une baguette de tambour-major.

Edmond prenait de l'assurance en devenait plus entreprenant, toujours à l'affût d'une bonne blague. Un jour, pénétrant dans les thermes Chambert, du nom de l’architecte, il monta jusqu'aux combles de la salle des pas-perdus pour atteindre le mécanisme de l'horloge et devenir tel Cyrano dans le troisième acte « monsieur l'inventeur des machines ». Un camarade faisait le guet.

Un jour il retardait l'heure, le lendemain il l’avançait.

L’Établissement thermal. Photo E. Soulé

Le personnel de l'établissement qui se calait sur les sonneries des cloches pour les rendez-vous avec les curistes et pour l'heure de sortie, était désorienté et désappointé par les caprices de l'horloge.

Assis avec ses complices sur un banc face à l'entrée des thermes, Edmond attendait la réaction des promeneurs qui regardaient leur montre en s'interrogeant sur la sonnerie intempestive du carillon situé sur le toit. Les employés en blouse blanche sortaient dubitatifs et levaient la tête vers le cadran et se regardant hochaient la tête.

Au loin quelques jeunes assis pouffaient en regardant leurs pieds où la montagne !

Mais un jour le subterfuge fut découvert et un cadenas fut t'installé à la porte du grenier !

Sur les allées d’Étigny, parmi les petites boutiques, on trouvait celle du coiffeur Carrère, le plus typique figaro Toulousain. Carrère était une des curiosités de Luchon et la joie de ses hôtes. Il savait tout, parlait de tout, avec une assurance à une force comique sans exemple. Il était intarissable. Et qu'elle rouerie joviale, quel funambulesque réclamisme ! Il avait hérité, cette année-là, de quelque chasseur besogneux, deux renards. Il les avait mis en cage à sa porte et confiant dans la crédulité des vieux « beaux », il avait surmonté cette cage d'un écriteau à l'adresse des dégarnis éprouvés : « chez Carrère, plus de chauve, grâce à ses lotions de lait de renard ! ».

Edmond Rostand par Eugène Lagier. Coll Musée Arnaga

Du matin au soir, sans sourciller, il arrosait des calvities sans remède d'une mixture blanchâtre. L'ingéniosité de Carrère et la naïveté de ses victimes, qu’il ahurissait par ses galéjades, remplissait Edmond d’aise. Il s’inspira du capilliculteur et écrivit pour son Guignol une petite comédie en deux actes et à trois personnages : Gnafron, coiffeur, Guignol, poète élégiaque, et la fille de Gnafron.

Edmond Rostand par Eugène Lagier. Coll Musée Arnaga

La Vie Parisienne. Mai 1872

Guignol, épris de la fille de Gnafron, désireux de se rapprocher d'elle, va confier au coiffeur son opulente coiffure… Pour flatter la manie du bonhomme, il confesse que ses cheveux tombent en masse, et qu'il n’attend le salut que du légendaire lait de renard. Gnafron, enthousiasmé, sympathise avec son client, qui, de fil en aiguille, lui demande la main de sa fille. Mais Guignol, poète élégiaque sans le sou, est éconduit sous les coups de matraque. Sa vengeance sera terrible. Grimé et dissimulant sa chevelure sous un faux crâne, il retourne chez Carrère qui ne le reconnaît pas. Regardez les résultats de votre lotion s’écrit-il, j’ai perdu tous mes cheveux ! Gnafron consterné sera poursuivi en justice, déshonoré et ruiné sauf s’il accepte de donner sa fille à un certain poète élégiaque…

Edmond adorait dessiner. Il s’amuse à croquer les personnages, tel ceux de Karl dans l’hebdomadaire La Vie parisienne : mœurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes. De nombreuses doubles pages humoristiques y paraissent sur Luchon.

Son sens aigu de l'observation, une grande acuité du regard et des proportions équilibrées donnent à l'ensemble rythme et vivacité. Sur la place autour du kiosque des badauds se promènent en écoutant les flonflons de l'harmonie. Le chef lève sa baguette, deux enfants se disputent un jouet à roulette, un couple s'éloigne, on cause assis sur les chaises de fer. La forme de la place est soulignée par le titre disposé en courbe. Ce don d'observation lui permettra de trouver dans son écriture le mot juste, simple et précis. Ce sens de la mise en scène annonce les qualités futures de l'homme de théâtre.

Luchon pendant la saison 1883. Dessin E. Rostand

Défilé processionnel de la maisonnée de Luchon se rendant à la salle de verdure. Dessin Edmond Rostand vers 1884.

Dans une lettre à sa mère où il redit son impatience à retrouver les siens en vacances à Luchon, il dessine Jeanne, sa sœur avec beaucoup d'humour, perdu sous un immense chapeau. « Je la vois d'ici trottinant dans le jardin avec Dream (leur chien), un arrosoir et son grand chapeau ».

« je vous vois d'ici après déjeuner vous rendant à la salle de verdure par l'allée qui fait le tour de la pelouse, vous, marchant la première, tonton vous suivant, Chuchu suivant tonton, Nanot suivant Chuchu, Dream suivant Nanot et Pomponet suivant Dream ».

Dans cette procession, décrite avec des mots simples et quelques traits rapidement tracés à la plume, Edmond capte les détails caractéristiques, la robe d'Angèle, la moustache de l'oncle, le chapeau de Nanot. On peut déjà parler d'un art de la composition et de la mise en scène.Les obliques se rejoignent au point de fuite, à 'extrémité de la queue du chien.

Laiterie de La Pique. Théâtre de verdure. Ph. Baudillon

C’est vers ses seize ans à l’été 1884 que Rostand écrivit une pièce héroïque sur la guerre carliste est une comédie «sentimentale sur l'hôtel de Rambouillet», dont seuls quelques fragments se sont glissés dans Cyrano.

À Madrid, une régence libérale se met en place. Au nord de l'Espagne, nombreux redoutent le centralisme et l'anticléricalisme affiché du nouveau pouvoir. En effet, le prétendant au trône d'Espagne Charles VII (1848-1909) voyant s'éloigner la possibilité d'une restauration bourbonienne déclenche en 1872 la troisième guerre carliste. La guerre se termine en 1876, mais de nombreux soldats désœuvrés parcourent l'Aragon et bénéficient du soutien des paysans pyrénéens et de leurs curés.

Casino du Pont du Roi. Photographie E. Soulé

En 1871, s’était construit le casino du Pont-du-roi côté espagnol juste après la frontière. La soldatesque pilla plusieurs fois ces maisons de jeux. À Luchon, le casino ne sera inauguré qu’en 1880, mais la ville possédait de nombreux cercles dans les hôtels où comme le célèbre « Cercle des chasseurs » tenu par Sapène à l'angle de la rue Spont et de la rue Lamartine où celui de la villa Gipsy crée par John Corneille of Moynalty après qu’il eut acheté la demeure au baron de Vallerot en 1845.

Imités des clubs anglais, c’étaient des maisons de jeu déguisées, fréquentées par la haute société. Dès le début du XIXe siècle, les trois ingrédients qui constitueront le socle ville-thermes, puis économique à savoir, la cure, les jeux de hasard, et les arts à « jouer » : musique, danse, théâtre et salles de lecture s'imposent dans les villes d’eaux.

Cette même année 1884, un généreux donateur offrit à la ville quelques couples de daims et de cerfs pour peupler la forêt de Superbagnères.

On trouvait ce zoo sylvestre au bord du parc des Quinconces, le long de la route d'Espagne.

Les curieux apportaient des friandises. Edmond qui préférait les fleurs dans les champs et les animaux dans la nature, réprouvait cette exhibition.

Un soir, alors qu’Eugène avait invité quelques amis, Edmond décida qu'il était temps de rendre leur liberté aux bêtes prisonnières. Il rassembla ses deux plus proches camarades, Henri et Jean à la villa et ce fut entre eux un conciliabule. Chacun eut son rôle précis et tel des conspirateurs, à la tombée de la nuit, ils remontèrent séparément l'allée des Bains.

Arrivés à l'enclos, ils firent sortir deux biches de l'enceinte et avec des moulinets de bras, tout en restant silencieux, ils les firent s'enfuir vers la Fontaine d'amour située sur les pentes de Superbagnères. Mais les deux biches étaient bien trop domestiquées pour fuir et firent demi-tour.
Que faire ?

Décision fut prise. Puisque elle préférait la prison à la liberté, on les remit dans leur enclos !

Edmond parfois organisait des escapades sans avertir ses amis du but de l'aventure.

Allons à la cascade de Montauban, lançait-t-il !

À cette époque cette cascade dévalait dans le jardin accidenté du curé qui exigeait des visiteurs la modique somme de cinquante centimes pour l'admirer.

Les amis grimpèrent hardiment au sommet et ils se rendirent compte que la vraie cascade, infiniment plus belle, se trouvait plus haut dans la montagne, au fond d'une gorge humide et glacée.

Une simple planche, en aval, posée en travers du cours d'eau déviait son cours et créait une chute d'eau auxiliaire et officielle. D’un coup de pied énergique, Edmond fit sauter la planche et supprima ainsi ce qui faisait la renommée de tous les guides édités :

Cascade de Montauban. Photo E. Soulé

« Ce jardin s'élève en spirale agréable, au nombre de dix-neuf tournants, jusqu'au plateau où se déverse une magnifique gerbe dans un bassin circulaire.

Devant ce réservoir sont placés trois sièges et une table, autour de laquelle on peut faire une délicieuse collation. Mais si vous regardez à la naissance de la gerbe d'eau, entre les saules qui la couronnent, vous ne tarderez pas à voir une figure humaine qui, avec de grands gestes, vous invite à gravir encore.

Cette femme donne le frisson à ceux qui, ne s'attendant pas à cet appel, rêvent nonchalamment devant la cascade, un londrès aux lèvres, laissant errer sur les beautés alpestres de ce lieu des regards distraits.

On peut gravir en trois minutes le sommet du jardin clôturé par une petite porte. Arrivé là, l'on suit un sentier fangeux, bosselé de rochers, coupé par un filet d'eau qui s'élargit sur le sol.

Un bruit assourdissant conduit à l'entrée d'une caverne où la masse d'eau tombant lourdement des hauteurs de Poujastou, répand une atmosphère glaciale qui pénètre les assistants. Nous engageons les touristes, de tout âge, à bien se couvrir afin d'éviter les fluxions de poitrine qui résulteraient d'une station prolongée dans ce lieu.

On donne cinquante centimes à la femme qui vous reçoit. C'est un droit d'entrée que l'on fait parfois de mauvaise humeur, parce qu'on en connaît plus la destination. Le montant de toutes ses entrées et employé par Monsieur le curé, une part au frais d'embellissement du jardin et l'autre pour venir en aide aux pauvres de la commune ».

Luchon en Poche, Guide du Touriste et du Baigneur - François Gimet

Les visiteurs qui ayant payé leur droit d'entrée ne voyant pas la fameuse descente s’en vinrent plaindre au curé. Comme pour l'horloge des thermes, ce qui amusait Edmond, c’était de se divertir de la déconvenue des touristes.

Le curé averti voyant ces jeunes rire sous cape les admonesta et les blâma de l'empêcher de recueillir l’obole qu'il destinait aux pauvres de chaque commune.

Rostand ému par les paroles du curé, dépité mais magnifique, sortit de sa poche une bourse et vida dans les mains du prêtre les vingt-cinq francs en pièces qu'elle contenait.

Le sacrifice était grand car les jeunes s'étaient entendu avec l'Artificier de chez Ruggieri qui tirait des feux pendant la saison pour acheter avec leur sous mis en commun quelques fusées pour surprendre encore les luchonnais.

De nouveau le carnet d’Angèle : « Il ne se passe pas de jour sans que mon fils n’entreprit quelque ascension à pied ou à cheval avec ses amis, dont de Gorsse était toujours. Toutes les courses possibles dans les environs de Luchon, ils les firent et les refirent. On partait tôt le matin. À midi on déjeunait au bord de quelque cascade, à l’ombre des sapins. On revenait le soir, à temps pour dîner ».

Une autre fois, en excursion à la moraine de Garin, au Larboust, vers la chapelle Saint Tritous, il offrit ses provisions de bouche à une vieille femme accompagnée de trois gamins aux tignasses hirsutes et aux guenilles trouées et sales.

Garin. Chapelle Saint-Tritous

Les vieilles

J'ai des grands attendrissements
Sur les vieilles ratatinées,
Et j'aime leurs trottinements,
Leurs douces figures fanées
Et leurs yeux aux fins clignements,
Leurs bonnets aux fleurs surannées,
J’ai de grands d'attendrissements
Sur les vieilles ratatinées.
Et dans les chaudes matinées
Lorsque je les vois, à pas lents,
Par une bonne promenée,
Ainsi que des petits-enfants…
J’ai de grands attendrissements.

Les vieilles. Les Musardises. 1890.

Les « gueux » sordides, illuminés, on les retrouve chez Ragueneau dans Cyrano de Bergerac parmi les poètes faméliques. Dans l'Aiglon sous l'uniforme de Flambeau, grognard “ stoïque”, témoin des gloires et des misères impériales, sous le pourpoint de Staforel serviteur à gages des amours Romanesques, aux bancs des rameurs de Geoffroy Rudel, humble croisé cinglant vers La Princesse Lointaine, parmi les miséreux du général Dumouriez suivant le vol de la Marseillaise, ou comme dans l'héroïque indigence des Cadets de Gascogne de Carbon de Casteljaloux

Qui sont coiffés d'un vieux vigogne
Dont la plume cachait les trous.

Et l’hymne de ce mysticisme de la pitié et de la bonté qu'il portait en lui depuis son enfance il l’écrit dans La Samaritaine.

Il écrivit une comédie en vers : Le rêve, qu'il détruisit.

L’année suivante, à dix-sept ans, il s'attela un opéra-comique « La Bavolette » d'après le roman de Paul de Musset.

À ce moment-là, la troupe théâtrale jouait sur la scène du Théâtre du Casino de Luchon « Le Pré aux Clercs » l'Opéra-Comique de Ferdinand Hérold et les Dragons de Villars, opéra-comique en trois actes, composé par Aimé Maillart.

La troupe se compose de fort jolies femmes et d'artistes de talent, avec des cœurs parfaitement composés. Les Choristes sont de Toulouse. Et la direction à monté « le petit duc » opérette de Charles Lecocq avec des costumes ravissants.

En août 1884, la colonie marseillaise de Luchon organise avec en tête Madame Rostand un concert au Grand-Hôtel devenu le Majestic au profit des victimes du choléra à Marseille et des pauvres de Luchon.

Parmi les dames patronnesses, ont peu citer les luchonnaises Mmes Ariosa ( née Soulerat), Tron (femme du maire), la princesse de Messagne ( femme du luchonnais Gabriel Estradère), madame de Gorsse, mais aussi la comtesse de Chambrun, madame Lee (mère de la future femme d’Edmond), la comtesse de Cassagne, Schwartz, de Raynal…

Le Grand Hôtel du Casino. Ph. Labouche

La recette atteint 3,600 francs. Frais prélevés, il restera plus de 2,600 francs, dont le quart est offert aux pauvres de Luchon. Le surplus, accru d'une part sur le produit d'une vente, soit 3,000 francs sera envoyé aux victimes du choléra par le comité chargé d'en faire la répartition.

Si madame Lee est citée, c’est qu’elle est une proche de madame Rostand.

Angèle se souvient et écrit dans son Journal : « C’est au cours d’une de nos nombreuses promenades que mon fils fit la connaissance de Mlle Rosemonde Gérard. Sortant du couvent, elle était venue passer l’été à Luchon, avec sa mère. Un jour, dans une excursion au Port de Venasque, elle eut un accident de cheval où elle fut assez sérieusement blessée. Elle avait un anneau d’argent qu’elle perdit ; mon fils lui en offrit un autre… C’est pendant sa convalescence qu’elle se fiança à Edmond ».

Eugène Rostand, Edmond Rostand, Madame Faures, Mr Chalès, Mr Faures, Juliette Rostand (1872-1956), Mr Giraudeau, négocient, Christian Klehe (banquier Toulouse). Julien Sacaze.(1847-1889, Avocat-Archéologue). Mme Guérin ( Caroline Trescaze, hab Luchon), Mme Chalès, Mme de Noirfontaine (épouse du Directeur du journal illustré " Soleil du Dimanche ", Rentier, Mme Rostand (Angèle Gayet). Mlle Guérin (Rosalie Guérin née en 1877, mariée à M Favatier en sept 1896), Louis de Noirfontaine (1880-1958), Mlle Jeanne Rostand (1879-1922)( Mme de Margerie).

Photographie été 1887

C’est donc confirmé et bien à Luchon, que les Rostand ont fait la connaissance de Madame Lee, née Perruche et de sa fille, Rosemonde Gérard l’été 1883 ou 1884.

Rosemonde âgée de dix-huit ans, a deux ans de plus qu’Edmond.

À la rentrée d’octobre 1884, c’est en bonne connaissance du caractère de son fils que son père remplit les documents d’inscription au collège privé et catholique Stanislas à Paris. A la rubrique Carrières à atteindre, il note : « Encore indécis. De préférence les Affaires étrangères ou St-Cyr. En tous cas la licence-ès-lettres d’abord ». Aux Observations particulières de la famille, Eugène précise : « Santé bonne mais tempérament nerveux et anémique. Myope. A besoin d’être entouré et soutenu, manque un peu d’élan et d’ordre dans les choses matérielles. Enclin à la rêverie, à la mélancolie ». Eugène donne une liste d’une douzaine de personnes, parents ou amis, qui sont autorisées à venir chercher Edmond pour le sortir dans Paris. Parmi elles, nous retrouvons Madame Lee.

Jean, un des proches amis d’Edmond, avec qui il faisait les quatre-cents coups, fils du rentier et hôtelier Valentin Fadeuilhe, qui possédait les quatre hôtels en enfilade rue d’Espagne, lui glisse qu’il est amoureux de Marie Soulé, la fille du photographe de l’allée des Bains. Les Soulé possèdent le chalet à côté de la villa « Julia ». Timide, Jean n’ose pas l’aborder. Peut-être il pourrait briser la glace avec quelques mots doux ?

Edmond se met à l’ouvrage et écrit de douces missives. Jean les recopies et les signe. Il épousera la belle fille du photographe et ils auront deux enfants. Jean, éprit de peinture se rendra à Paris pour l’étudier. Il dessinera et peindra de nombreux tableaux tout en poursuivant une carrière militaire sous les dragons. De retour dans ses montagnes, il sera l’un des premiers luchonnais à chausser les skis à l’aube du XXe siècle. Il se consacrera à la chasse à l’isard et à la pêche à la mouche qu’il élèvera en art en fabriquant des leurres remarquables.

On reconnaîtra sans peine dans cette anecdote la scène célèbre du balcon dans Cyrano de Bergerac.

Il est cependant à préciser que ce balcon existe vraiment. Ce n’est pas celui de la villa Julia communément admis par les biographes, mais celui de la maison du Consul, situé route principale au milieu du charmant village de Saint-Béat dans la vallée voisine. Edmond se promenait souvent à cheval de ce côté. Passant la frontière par le col du Portillon, au-dessus de Luchon, il redescendait vers Bossost ou il déjeunait au bord de la Garonne. Restauré, il redescendait vers Lès, passait la frontière au Pont du Roi, puis à Saint-Béat laissait son cheval se reposer. Là, attablé chez Burgalat à l’hôtel de la terrasse, il composait sur son carnet.

Martin, ours. Une bête énorme. Un plantigrade
Que l'on n’aimerait pas avoir pour camarade.
Touffu, férocement espiègle, et reniflant.
Un ours qui jetterait ton homme sur le flanc
D’un seul revers de pâtes, et, de deux coups de griffes,
Mettrai tout c'est chair palpitante en chiffre ;
Un ours dans un géant ne viendrait pas à bout.

L’Ours. Les Musardises, Saint-Béat 189…

Et depuis lors, dans l'ombre où passe un vent morisque,
Intéressé par l’œuvre, égayé par le risque,
Je suis toujours sur le sentier ;
Je cueille des bouquets, je marche, je m'arrête virgule
Et je chante… et je dis que je suis un poète ;
Mais je suis un contrebandier.

Le Contrebandier, Les Musardises, Frontière d'Espagne 189…

En août 1888, l’administration du casino, soucieuse de donner à ses visiteurs une attraction nouvelle, vient d'engager le capitaine Armand pour exécuter une ascension aérostatique avec le magnifique ballon « le zéphyr » pendant l'après-midi. Ce ballon captif fera des ascensions pour les amateurs avant de se lever en soirée au-dessus de Luchon, monté par son intrépide capitaine.

Du souvenir des ballons de papier de sa petite enfance, à cet « aérostat », Edmond s'empressa de prendre un billet et s'envola au-dessus du casino. À sa gauche le toit de sa maison familiale, au loin le Venasque, à ses pieds, le tout Luchon. En cette fin d'après-midi la lune pâle est bien visible dans le ciel. Cette expérience lui inspirera son « Charivari à la lune » :

Quel clown, frappant du pied,
Va bondir de la Ville,
Cerceau, dans ton papier,
Pour imiter Banville ?

Les Musardises

En 1887, Edmond écrit deux nouvelles qui paraîtront dans « Le Gaulois », la première en mai sous le titre : Le Costume du Petit Jacques, histoire vraie et la seconde en juin : Pensée de mère, dédiée à Madame Second de Lenglay. ( !)

En avril 1888, une comédie-vaudeville en trois actes de Messieurs André Raibaud et Edmond Rostand, Le Prix de Beauté est écrite. Elle ne sera finalement crée qu’en mai 1891 au théâtre de l’Ambigu-Comique, mais le nom de Rostand a disparu de l’affiche.

C’est aussi en avril 1888, que mademoiselle « Rosamonde »Lee et Edmond Rostand jouent chez la marquise de Barbentane, vieille famille provençale, devant un parterre de l’aristocratie parisienne une petite comédie : Un crâne sous une tempête d’Abraham Dreyfus qu’ils avaient joué l’été précédent à la villa « Julia ».

En aout 1888 est créé officiellement à Luchon par la compagnie fermière et Léonie Miroy la première fête des fleurs.

Cette fête réunissait l’élite de la société de Luchon et parmi les intrépides combattantes de cette bataille florale, on pouvait voir Mme et Mlle Rostand.

Dans le Figaro du 14 aout 1888 un entrefilet annonce : Messieurs Henry Lee, Edmond Rostand et Ary Ecilaw terminent, en ce moment à Paris, une comédie tirée de Maël, comtesse d'Arcq, le dernier roman d’Ary Ecilaw, qui a eu un si vif succès lors de son apparition au printemps dernier. On sait qu'une haute personnalité étrangère se cache sous le pseudonyme d’Ary Ecilaw.

En effet, Ary Ecilaw était la comtesse Alexandrine von Hutten-Czapska née en 1854 à Varsovie et décédée en 1941 à Vevey en Suisse. Mariée au chargé d'affaires russe à Darmstadt, Alexander von Kolemin, elle était aussi l’amie de la princesse Narishkine qui venait en villégiature à Luchon.

Un des trois chalets russe de la princesse Narishkine. Ph E. Soulé

Enfin, il se lance sur scène et compose une revue en novembre 1888 « À qui la pomme » avec le frère de Rosemonde Henry Lee et Jules Oudot, revuiste à la mode.

Les Musardises

Les musardises, est le premier recueil de poésies édité par Edmond Rostand en 1890. Il a vingt-deux ans.

Dans ce recueil, on y trouve des poèmes écrit dès 1887 sur sa vie de lycéen. Sous l’influence de la lecture du tarbais Jules Laforgue L’Imitation de Notre-Dame la Lune (1886), on trouve quelques textes symbolistes. Puis, ce sont les vingt poèmes de La Maison des Pyrénées suivie du Livre de l’Aimée. Cette dernière partie qu’Edmond n’a pas cru devoir faire figurer dans la seconde édition de 1911 après sa séparation avec sa femme.

Couverture manuscrite des Musardises de la main d’Edmond Rostand

Comme tous ses premiers écrits, La Maison des Amants par exemple, Edmond Rostand crée lui-même la mise en page de son texte et écrit la préface :

Au lecteur

MUSARDISE. s. f. Action de celui qui musarde.
MUSARDER, v. n. Perdre son temps à des riens.

C'est là ce que tu trouveras dans le dictionnaire, Ami Lecteur. Et là-dessus tu n'auras pas grande estime pour un volume de vers qui s'appelle « les Musardises », c'est-à-dire les bagatelles, les enfantillages, les riens.

Page manuscrite originale de « l’Eau » dont le premier quatrain est gravé sur le piédestal du buste de Rostand à Luchon. Coll Isabelle Lefort.

Mais pour peu que lu sois un lettré ayant connaissance des mots de ta langue et de leur sens exact, ce titre ne sera pas pour te déplaire. Même il t'apparaîtra comme seyant bien à un recueil de poétiques essais.

Tu sauras que « musardise » , « musardie », comme on disait au vieux temps, signifie rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse délectation à contempler un objet ou une idée : car l'esprit musarde autant que les yeux, si ce n'est plus.

Tu sauras que, suivant certaines étymologies, « musarder » veut dire avoir le museau en l'air : ce qui est bien le fait du poète ; lequel, comme on sait, regarde tellement là-haut que souvent il trébuche et se jette dans des trous. Tu sauras qu'au temps jadis les « musards » étaient de certains bateleurs et jongleurs, provençaux d'origine, qui s'en allaient de par le monde en récitant des vers.

Tu ne pourras être étonné que, sous un titre qui ne semble convenir qu'à de très légères poésies, je me sois permis quelquefois des tristesses ou des mélancolies, puisqu’en langue wallonne « muzer » a pour sens : être triste.

Enfin, tu comprendras tout à fait le choix que j'ai fait de ce mot, te souvenant que le savant Huet, évêque d'Avranches, le faisait venir du latin Musa, — qui, comme on le sait, signifie : la Muse.

Edmond a vingt ans.

Son fils Maurice nous précise que son père ayant loué une maison à madame Ariosa, sans doute la villa Diana, à quelques centaines de mètres de la villa Julia, il y écrivit Les Romanesques.

Pièce en trois actes et en vers créée sur la scène de la Comédie -Française le 21 mai 1894.

Edmond à 20 ans. Coll Musée Arnaga

« Je ne vous dis pas que l’idée de cette comédie soit neuve de tout point ; mais l’exécution en a paru supérieure. C’est très brillant, tout pétillant d’esprit et, par endroit, tout éclatant d’une gaieté large et aisée. On vous prie de ne point confondre cela avec la petite chose jolie, mais grêle, qu’est le traditionnel bijou odéonien. Il y a, déjà, dans Les Romanesques, de la maîtrise. L’alliance y est naturelle et heureuse du comique et du lyrisme. Autant que j’en puis juger à la simple audition, la versification est remarquable de souplesse et d’adresse, avec tout plein de consonances imprévues et amusantes et de jeux de rythme drôlement expressifs… ».

Jules Lemaître dans Impressions de théâtre.

Affiche des Romanesques. Luchon 1895

Cette pièce sera jouée sur la scène du théâtre du casino avec comme interprètes, Edmond et sa femme Rosemonde et leur ami et créateur du rôle à Paris Charles Le Bargy.

Créée fin décembre 1897, Cyrano de Bergerac sera joué à Luchon le 3 août 1898 avec Adolphe Candé, dans le rôletitre et Jeanne Rolly, en Roxane, tous deux du Vaudeville.

Les gazettes luchonnaises rapportent le succès prodigieux de la troupe : « Ils ont été applaudis à outrance. »

Une fois son bachot acquis, Edmond ne revint que trois fois Luchon, ayant laissé derrière lui ses amis luchonnais. Il y revint en 1895 avec son fils Jean et enfin lorsqu'il prit part à la fête des fleurs avec Rosemonde en calèche avec qui il s’est marié en avril 1890.

Edmond aurait confié : « Je ne reviendrai jamais à Luchon, j’y ai été trop heureux ».

Le magnifique théâtre du Casino de Luchon

Le Guignol au casino de Luchon Coll Ch de M.

Charles Le Bargy, Edmond et Rosemonde
Théâtre du Casino. Luchon. Ed. Soulé

Edmond amusant sa famille et ses amis derrière son castelet. Coll B. de Gorsse.

Edmond à 12 ans et jeune marié. Photos Cayol. Luchon

Le dandy Edmond. Coll B. de Gorsse

Edmond à 6 ans. Ph. Cayol. Luchon

Rostand, on l’a vu, dès sa prime enfance était un petit garçon précieux. Sa mère écrit à ce sujet dans son journal qu’enfant, il ne voulait pas se moucher deux fois dans le même mouchoir.

Enfant, d’une santé fragile, souvent accentuée par des toux croupales, il se rétablit à Luchon.

À Luchon, il se démarquait des autres par ses costumes du dernier cri, fashionables, comme on disait alors, chatoyants, s’affirmant différent auprès de sa famille et de ses amis.

Ses vacances furent heureuses. Jeux, Guignol, dessin, écriture, excursions, farniente étaient ses occupations.

Adolescent et fiancé il donnait des représentations théâtrales à la villa.

Il poursuit ses études à Paris pour devenir avocat comme l’exige son père, un père omniprésent et étouffant.

Puis à l’âge de 18 ans Rosemonde arrive dans sa vie.

La dépression que subira Edmond toute sa vie est déjà présente. Il doute de lui, de son écriture, de ses projets, s’épuisant physiquement et moralement lors de ses crises de neurasthénie qui accentuent sa misanthropie. Sans crainte d’effrayer Rosemonde, il étale devant elle ses états d’âme et se répand en lamentations : « Je me sens dans un curieux état littéraire en ce moment. J’ai une foule d’idée qui grouillent, qui grouillent dans ma tête, sans savoir exactement lesquelles. A chaque instant j’ai envie d’écrivailler ; n’importe quoi. J’éprouve comme une souffrance de ne rien produire. Je sens en moi toutes sortes de choses qui ont besoin de s’en aller sous la forme de prose ou de vers, peu importe, vous connaissez ça ?... Et cet état s’accompagne d’un ennui, d’un dégoût de tout, d’un énervement très particulier… Oh ! le curieux malaise littéraire ! (…) Je ne suis d’aucune fête, d’aucune partie, cela m’ennuie trop. Ce qu’il y a de comique, c’est la manière dont on respecte ma tranquillité cette année, sous ce rapport, mes désirs sont des ordres. On ne fait pas la moindre observation quand je disparais sitôt après dîner. Ce que c’est d’être joué ! » Edmond termine une lettre de juillet 1888 : « Si je gribouille et bafouille ainsi, c’est la faute à ce mal de tête qui m’aveugle. » Il a vingt ans.

Invitation distribuée aux amis

Se marie-t-il à vingt ans pour fuir sa famille et vivre sa vie de poète ?

Extrêmement timide, psychologiquement éprouvé, abattu ou débordant d’inventivité et de gaité avec ses enfants, Rostand était un écorché vif. Il a conçu et agencé méticuleusement sa maison d’Arnaga, dessiné toute sa vie, fabriqué des décors et des costumes pour ses pièces. C’est dans l’écriture poétique qu’il exprime sa profondeur. La vraie vie est celle qu’il s’invente.

Fêté, adulé de son vivant, Rostand est à Luchon une figure incontournable, nécessaire.

Le Buste d’Edmond Rostand à Luchon

Après la mort d’Edmond Rostand, le 2 décembre 1918, un Comité d’honneur est constitué dans le but d’honorer la présence du poète à Luchon.

On décide de confier la réalisation d’un buste en marbre de Saint-Béat au sculpteur Auguste Maillard, grand ami du poète.

Il sera érigé au bord de la rivière La Pique, son visage vers la Villa Julia.

Parmi les souscripteurs figurent Madame Sarah Bernhardt, M. Le Bargy de la Comédie-Française, M. Eugène Fasquelle, éditeur d’Edmond Rostand, MM Hertz et Coquelin, directeurs du Théâtre de la Porte Saint-Martin, Henry de Gorsse, auteur dramatique luchonnais et de nombreux amis et admirateurs.

Quatre vers, issus des Musardises sont gravés sur la stèle. Ils rappellent l’attachement d’Edmond Rostand à la ville de ses étés insouciants:

Luchon, ville des eaux courantes
Où mon enfance avait son toit
L’amour des choses transparentes
Me vient évidemment de toi.

L’inauguration du buste a lieu le samedi 22 juillet 1922 le lendemain de celle du Grand-Hôtel de Superbagnères en présence de nombreuses personnalités.

En 2018, Thomas Sertillanges, Président des « Amis de Cyrano de Bergerac, Festival Edmond Rostand » en visite à Luchon et moi-même , Président de « Luchon d’Antan » décidons en remarquant l’état de la statue de la restaurer après accord de Monsieur le Maire Éric Azémar et de nos conseils d’administration. Le temps et les intempéries ont fait leur œuvre et la sculpture a le nez cassé et les extrémités des moustaches sectionnées. La plaque de La Fontaine de Caraouet étant devenue illisible, nous en profiterons pour la changer.

Fêter le centenaire du buste et sa restauration nous semble une bonne idée.

Nous prenons contact avec le marbrier Guillaume Zamora à Ore (31). Le coût de la restauration est pris en charge par « Luchon d’Antan », alors que la plaque signalétique proposée et financée par « les Amis de Cyrano de Bergerac » sera installée près du buste. La municipalité de Luchon avec l’aide de ses ateliers réalise et met en place le support de la plaque.

Thomas Sertillanges et Christian de Miègeville. Août 2018. Photo Kathia David.

Luchon et Rostand

C’est lors d’une fête luchonnaise en 1937 que Bernard Sarrieu,(1875-1935) professeur agrégé de philosophie et spécialiste du parlé occitan de Luchon composa l’ode qu’il déclama au pied du buste.

En septembre 1970, en présence de diverses personnalités du monde de l'université et des lettres, Monsieur Alain Poher, président du Sénat, a inauguré à Luchon le lycée de plein air Edmond Rostand, élevé dans l'ancienne propriété dit « laiterie de la pique » où le poète vint souvent s’ébattre dans son enfance.

A cette occasion a été présenté au lycée même une fort intéressante exposition réalisé par Pierre de Gorsse, membre correspondant de l'Institut. Les pièces que l'on a pu y voir, à l'exception de six ou sept provenant du musée du Pays de Luchon ou de prêts divers, provenaient d'ailleurs de ses collections et de ses archives personnelles.

Certaines sont présentées en iconographie pour la première fois ici.

Après La Princesse lointaine, en 1895, Edmond entame une nouvelle pièce, La Maison des Amants. A t’il envie de retrouver la légèreté des Romanesques car l’auteur plante le décor d’un amour absolu entre Joconde et Hermeril, insufflant à ce premier acte un air léger, charmant, vif et poétique. La pièce restera inachevée et ne sortira de l’ombre du grenier d’Arnaga qu’en 2018 sous la forme d’un cahier relié à l’écriture calligraphiée, ponctué de pages raturées et d’annotations à la marge de Rosemonde.

Cet acte a été joué à Luchon, en création mondiale lors du Festival Edmond Rostand 2018 . Mise en scène Christian de Miègeville.

Remerciements

À la ville de Luchon et à son maire Éric Azémar.

À Monsieur Bertrand de Gorsse qui m’a ouvert généreusement sa bibliothèque et remis des documents inédits manuscrits, imprimés ou photographiques sur la famille Rostand. Qu’il soit ici chaleureusement remercié.

À Monsieur Thomas Sertillanges, soutien de tous les instants, qui depuis des années même un combat héroïque pour que la mémoire de l’homme et l’œuvre d’Edmond Rostand soit dans nos cœurs.

Bibliographie

Sur Eugène Rostand

Les Questions d'économie sociale dans une grande ville populaire avec une statistique des institutions de prévoyance et de philanthropie à Marseille, Eugène Rostand, Librairie Guillaumin et Cie, 1889.

L'Action sociale par l'initiative privée, avec des documents pour servir à l'organisation d'institutions populaires et des plans d'habitations ouvrières, Guillaumin & Cie, 4 volumes, 1892-1907.

Sources

Musée virtuel du logement social, la Phocéenne d'Habitations

Sur Alexis Rostand

Alexis Rostand (1844-1919), musicien et banquier. Chantal Ronzon-Bélot, 2004

Sur Edmond Rostand

Les Musardises 1890

Les Romanesques

La Maison des Amants. Pièce inachevée. 2019

L’enfance pyrénéenne d’Edmond Rostand. 1922 Henry de Gorsse.

La vie profonde d'Edmond Rostand. Apesteguy Pierre. 1929

Edmond Rostand, poète d’inspiration commingeoise. Pierre de Gorsse. 1947

Edmond Rostand : Les états de la poésie. Henry Scepi.

Edmond Rostand, une vie. «Une famille extraordinaire». Pierre Espil

Confession d'un demi-siècle, souvenirs, 1948. Maurice Rostand

Paul Faure, Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand 1928

Edmond rostand- panache et tourments. Garcia carole , dargeles roland. 1997

Edmond Rostand ou le baiser de la gloire. Caroline de Margerie. 1997

Edmond Rostand - Ecrivain imaginaire

Jean-Baptiste Manuel 2003

Les dessins d’Edmond Rostand. Odile Contamin, conservateur de la Villa Arnaga. Colloque international 1 et 2 juin 2006.

Edmond Rostand. Tome 1. Jacques Lorcey

Edmond Rostand. Tome 1. Jacques Lorcey. 2005

Edmond Rostand. Le Gant Rouge & Lettres à sa fiancée. Olivier Goetz (Université de Metz) sur des manuscrits découverts par le collectionneur Michel Forrier.2009

Edmond Rostand. 1868-1918. Michel Forrier. 2018

Edmond Rostand, les couleurs du Panache. Thomas Sertillanges 2021

Les plaisirs de Luchon. Christian de Miégeville. 2020. Les poésies luchonnaises de S. Liégeard. Une biographie inédite sur l'homme politique, écrivain et poète ainsi qu'une description de la ville d'eau la plus célèbre de la fin du XIXe siècle, Bagnèresde-Luchon).

Journaux en dehors de ceux cités dans le présent opuscule

Comoedia

Le Sémaphore de Marseille

Le journal de Marseille

Le Journal de Toulouse

La Dépêche du Midi

L’Avenir de Luchon

La Gazette de Luchon